CHAPITRE XIII

 

— La Tueuse… (Le Maître marqua une pause.) En as-tu la preuve ?

— Je me suis battu contre elle et elle a survécu, grogna Luke. Ça me suffit.

— Tu as peut-être raison, concéda le Maître. Ça fait longtemps que ça ne t’était pas arrivé.

— Depuis l’an 1843, précisa Luke. C’était à Madrid, et elle m’avait surpris pendant mon sommeil.

Le Maître hocha la tête.

— Il ne faut pas qu’elle gêne la Moisson.

— Je ne la laisserai pas faire.

— Ne t’inquiète pas. Je pense qu’elle viendra à nous. (Voyant l’air interrogateur de Luke et de Darla, le Maître expliqua :) Nous détenons quelque chose qu’elle veut. Si elle est bien la Tueuse, elle devinera que le garçon est toujours en vie, et elle essaiera de le délivrer.

Luke se dirigea vers Jesse, un sourire hideux sur les lèvres.

— Je te prenais pour un simple casse-croûte, mon gars ! gloussa-t-il. Félicitations : tu viens d’être promu au rang d’appât.

 

*

* *

 

Conformément à la prédiction du Maître, Buffy était en train d’organiser le sauvetage de Jesse.

— La voilà, dit-elle avec satisfaction.

Tout le monde était rassemblé autour de Willow, assise devant l’ordinateur de la bibliothèque. Une carte complète des circuits électriques de la ville venait de s’afficher sur l’écran.

— Ce conduit passe sous le cimetière, expliqua la jeune fille.

Alex secoua la tête.

— Je ne vois aucun accès.

— Comment se fait-il que ces plans soient à la disposition du public ? demanda Giles, perplexe.

— En fait… (Willow baissa la tête, l’air honteux.) Je suis tombée dessus par hasard… en craquant le code de sécurité de la mairie.

Alex sourit.

— Alors, on se dévergonde ?

— De toute façon, soupira Buffy après un rapide examen du schéma, je n’ai pas l’impression qu’il nous servira à grand-chose…

Elle semblait de plus en plus découragée.

— Cesse de culpabiliser, lui recommanda Giles.

La jeune fille se tourna vers lui.

— N’est-ce pas toi qui m’as dit que j’étais insuffisamment préparée ? Eh bien, tu étais au-dessous de la vérité. Je croyais maîtriser la situation, mais il a suffi que ce Luke surgisse de nulle part…

Elle s’interrompit abruptement.

Alex leva les yeux vers elle.

— Qu’y a-t-il ?

Le regard dans le vague, Buffy se remémorait les scènes de la veille.

— Non ! Il n’a pas surgi de nulle part, déclara-t-elle, tout excitée. Il est arrivé derrière moi. J’étais face à l’entrée, je ne l’ai pas vu approcher, et il ne m’a pas suivie dehors quand je me suis enfuie.

Elle dévisagea ses trois compagnons.

— L’accès aux tunnels est à l’intérieur du mausolée ! conclut-elle triomphalement.

Giles se redressa.

— Tu en es sûre ?

— La fille a dû rebrousser chemin avec Jesse pendant que je les cherchais dehors, continua Buffy sans répondre. Ce que je peux être stupide, parfois !

— Alors, quel est le plan ? s’enquit Alex, prêt à agir. On saute tous en selle ?

— Il n’y a pas de « on » qui tienne, corrigea Buffy. C’est moi, la Tueuse.

— Je me doutais que tu finirais par nous le jeter à la figure, grommela le jeune homme.

— Alex, ça va être très dangereux.

— Je vois… Tu me prends pour un minus. Rien de grave. Je ne suis pas vexé du tout.

Alex tourna le dos à Buffy et s’éloigna. Willow lui lança un regard plein de sympathie et entreprit de plaider sa cause auprès de leur amie.

— Buffy, ce n’est pas que je me réjouisse de retourner dans cet horrible endroit, mais je veux t’aider aussi. J’en ai besoin.

— C’est moi qui vais avoir besoin de toi, déclara Giles. J’ai fait des recherches au sujet de la Moisson. Ça semble être une sorte de massacre organisé. Des fleuves de sang, l’enfer sur Terre… Rien de très drôle. Mais je n’ai pas pu obtenir de détails, et je me disais que tu saurais peut-être les extorquer à ce satané réseau.

Les deux filles lui jetèrent un regard perplexe.

— La formulation était trop raffinée pour vous, c’est ça ? grogna Giles.

Buffy sourit.

— Bienvenue dans le Nouveau Monde.

— Je voudrais que tu cherches des informations sur Internet, traduisit Giles.

— Oh ! (Le visage de Willow s’éclaira.) Bien sûr, je peux faire ça. Pas de problème.

— Dans ce cas, je pars tout de suite, annonça Buffy. Si Jesse est toujours vivant, je le ramènerai.

Giles fit un pas vers elle ; son expression s’adoucit.

— Inutile de te recommander d’être prudente.

— Inutile, en effet. J’ai déjà une mère, railla Buffy. (Une pause.) Mais merci de t’inquiéter pour moi.

Sur ce, elle sortit.

Elle traversa le campus et courut vers le portail.

Il était grand ouvert, mais avant qu’elle le franchisse, M. Flutie apparut derrière elle.

— Où croyez-vous aller comme ça, Mlle Summers ?

Buffy ouvrit de grands yeux innocents.

— Qui, moi ?

Le proviseur lui jeta un regard sévère.

— Vous n’alliez pas quitter le lycée pendant les cours ?

— Bien sûr que non ! Je ne faisais… qu’admirer la clôture. Un travail remarquable.

— Parce que si vous quittiez le lycée pendant les cours, lors de votre deuxième jour ici, après avoir été renvoyée par un autre établissement pour délinquance juvénile… (M. Flutie marqua une pause.) Vous voyez où je veux en venir ?

Buffy chercha désespérément une excuse.

— M. Giles ! s’exclama-t-elle soudain.

— Pardon ?

— Il m’a demandé d’aller lui acheter un livre, expliqua la jeune fille, parce que j’avais un trou dans mon emploi du temps et que j’adore lire. C’est marqué dans mon dossier, non ?

M. Flutie la dévisagea.

— M. Giles ?

— Demandez-lui.

Le proviseur contourna Buffy, ferma le portail et le verrouilla.

— C’est peut-être ainsi qu’on fait les choses en Angleterre. Après tout, il est difficile de leur en vouloir avec tous les problèmes que connaît la famille royale. Mais à Sunnydale, personne ne quitte le campus pendant les cours. C’est compris ?

— Oui, monsieur, répondit Buffy avec un sourire contrit.

— Ça, c’est le genre de jeune fille que j’aime avoir dans mon lycée. Quelqu’un de raisonnable, avec les pieds sur terre.

Le proviseur se détourna et s’en fut.

Restée seule, Buffy contempla ses pieds un instant.

Un fort joli spectacle…

Après s’être assurée que M. Flutie ne faisait plus attention à elle, elle sauta la clôture et atterrit souplement de l’autre côté.

 

*

* *

 

Quittant la bibliothèque, Alex et Willow s’engagèrent dans le couloir.

La cloche avait sonné depuis une minute et les élèves se pressaient déjà vers les salles de classe.

— Meurtres, mort, massacre, marmonna Willow, qui dressait une liste dans son calepin en marchant. Quoi d’autre ?

— Paranormal, phénomène inexpliqué, suggéra Alex. Tu as noté les catastrophes naturelles ?

La jeune fille acquiesça.

— Tremblement de terre, inondation…

— Pluie de grenouilles.

— Je l’ajoute.

Alex secoua la tête.

— J’ai du mal à croire ce que je raconte, soupira-t-il. S’il y avait eu une pluie de grenouilles, tu crois vraiment qu’ils en parleraient dans le journal ?

Willow haussa les épaules.

— Ça ne coûte rien d’essayer. Je vais l’ajouter aux paramètres de recherche. S’il en est fait mention, le serveur me l’indiquera.

— Pendant que je resterai les bras ballants comme l’idiot du village, marmonna Alex, déconfit.

— Juste les bras ballants, pas comme l’idiot du village, le réconforta Willow. Buffy ne veut pas qu’il t’arrive du mal. (Elle lui coula un regard et ajouta d’une toute petite voix :) Moi non plus, d’ailleurs.

Ils s’arrêtèrent devant la salle où Willow avait cours.

— C’est tellement soudain, soupira Alex en se passant une main dans les cheveux. Hier, mon seul souci, c’était la prochaine interro de maths. Aujourd’hui, je vis dans un monde peuplé de vampires… Monstre pour monstre, je préférais encore mon prof !

— Je sais, fit Willow en regardant les autres élèves. Dire que pour tout le monde, c’est une journée ordinaire.

— On est les seuls à savoir. Comme si on avait un secret.

— Je crois que c’est le principe du secret : connaître un truc que les autres ignorent.

Alex ne releva pas l’ironie de la jeune fille.

— Tu as raison, dit-il distraitement. Bon, tu ferais mieux d’aller en cours.

— Toi aussi.

— Je sais.

— Tout se passera bien. Buffy est de taille à se défendre contre ces monstres.

— Je le pense aussi…

Au fond de leur cœur, ni l’un ni l’autre n’y croyaient vraiment.